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Leather Goddesses of Phobos
Infocom - 1986
David Vincent les a vues par Clence_tum

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
Normandie, un après-midi d’août 2007. Il neige. Au dehors, les loups disputent le contenu des poubelles de la rue aux ours polaires. J’ai froid. Je me fais chier. La télé ne recevant que les trois premières chaînes (comme au bon vieux temps certes, mais le oldisme c’est comme les petites filles, il ne faut pas en abuser), il devient vital de trouver une autre occupation, car au bout de la vingtième rediffusion de Magnum, le corps impose ses limites.



Je décide donc de trouver un jeu à tester. C’est ça ou tuer un cadavre de vieille, avant d’y mettre le feu dans un accès de démence. Bref. Je procède à une fouille approfondie de la maison, et je finis par mettre la main sur un vieil Amiga qui traîne au fond du grenier. Je chasse la mouette qui avait élu domicile dessus, puis je me mets en quête des jeux, que je trouve un peu plus loin, au fond d’une boite à chaussures recouverte de guano. On s’en contentera. Après avoir fait cramer trois prises, fait fondre quelques fusibles, être descendu dans les profondeurs inexplorées de la cave pour rebrancher le disjoncteur, et avoir trébuché sur les restes d’un allemand qui avait cru malin de se cacher dans cette même cave en 1944, la bête s’allume enfin. Joie. Je fais mon choix parmi les jeux, ou plutôt je trouve le seul dont la disquette fonctionne toujours : Leather Goddesses of Phobos.

Avec un nom pareil, ça ne peut être que génial. J’imagine d’emblée un shoot’em up avec une bimbo sanglée dans une combinaison moulante qui allume des hordes de mutants martiens au gros pompe, le genre de truc pensé sur un coin de table dans un estaminet miteux du port de Rotterdam par Carpenter et Tarantino qui se seraient rencontrés par hasard en allant voir les filles. Ca s’annonce carrément bien, j’y crois à mort.



Ben en fait, pas du tout. Leather Goddesses of Phobos est un jeu d’aventure textuelle. Argh.

A cet instant précis, dire que mon esprit tient en équilibre sur la fine limite qui sépare l’Homme moderne de la bête ancestrale est un euphémisme : il aurait plutôt tendance à sauter dessus à cloche-pied, avec les mains attachés dans le dos et les yeux bandés. Je reconsidère pendant quelques minutes les possibilités de distraction offertes par le cadavre de la vieille, avant de me souvenir que j’ai utilisé ma dernière bouteille d’alcool à brûler il y a trois jours, pour me défendre contre le voisin qui tentait de s’emparer de ma réserve de bois sec. Tant pis, va pour le test.



Leather Goddesses of Phobos (que j’appellerais dorénavant LGOP, grâce à quoi je retarderai l’apparition de mon syndrome du canal carpien, merci pour lui) est donc…un jeu. A priori. L’aventure textuelle, ou fiction interactive, fut un genre assez populaire dans les premiers temps du vidéoludisme, de la fin des années 70 jusqu’à ce fameux matin de mars 1981 où un jeune ingénieur décida d’inventer les graphismes et de passer à autre chose.

Voilà pour le contexte historique. Pénétrons à présent dans le vif du sujet. Dans la scène underground de la fiction interactive, LGOP a tendance à se démarquer de ses petits copains, pour deux raisons : il parodie les « pulp magazines» américains des années 30 (oui, dis comme ça c’est aussi bandant que si j’avais écrit « ce jeu pastiche la thèse janséniste avec une effronterie qui ne laisse pas de nous confondre», mais attendez un peu avant de râler) et il contient du sesque. On peut d’ailleurs choisir entre trois niveaux d’indécence : de Lewd, qui décrit les scènes d’action avec force détails, à Tame, qui les remplace par des discussions sur les dernières tendances jazz, en passant par Suggestive, le réglage par défaut des familles modernes mais néanmoins bien-pensantes (les cons, quoi). Enfin bon, d’une manière générale on ne trouve rien de bien méchant, d’ailleurs si j’écrivais ces lignes dans Télé 7 jours (Dieu me préserve) je dirais « pour adultes et adolescents ».



L’aventure démarre sur les chapeaux de roues : vous jouez un clampin (ou une clampine, comme nous le verrons par la suite) de l’Ohio profond qui a décidé de se mettre minable au bar du vieux Joe, parce que c’est pas tous les jours samedi soir. Après avoir éclusé un nombre déraisonnable de bières de table, vous êtes pris d’un tenaillement au bas ventre, et il devient plus qu’urgent pour vous-même, votre futal et votre réputation, de rejoindre les gogues. C’est le moment que choisit l’ordinateur pour vous laisser la main, un petit carré interrogateur clignotant doucement en bas à gauche de l’écran.



La première réaction de tout être humain normalement constitué est alors d’écrire successivement « merde », « pipi », « caca », « grosse truie », parce que bon, faut bien rigoler un peu en ce bas monde. Puis, on passe aux choses sérieuses et on essaye de trouver la bonne commande. En l’occurrence, ce sera « northeast » ou « northwest », selon que l’on veuille rejoindre les toilettes hommes ou dames. Cette décision aura d’ailleurs plus d’importance qu’il n’y paraît, puisque cela détermine le sexe de votre personnage (donc non, on ne peut pas jouer un pervers qui va reluquer dans les chiottes des filles). D’ailleurs, à ce propos, le jeu vous considère toujours comme hétérosexuel, c’est donc râpé pour les folles scènes lesbiennes qu’on avait tous imaginé en voyant le titre du jeu.



Bon, donc on rentre, et on fait son affaire. Malheureusement, à peine avez-vous eu le temps de secouer la dernière goutte (ou de vous relever sans toucher les parois ni faire tomber votre sac à main dans la cuvette, selon le choix que vous avez fait plus haut) que les commodités sont soudainement illuminées par une intense lumière verte. Vous voila kidnappés par des extraterrestres à tentacules (les amateurs de hentai qui fréquentent ces pages, et je sais qu’ils sont nombreux, apprécieront), et vous vous retrouvez quelques heures plus tard dans une cellule anonyme, avec pour seule compagnie un tableau représentant un chaton qui vous regarde depuis le mur d’en face. Voilà qui commence bien.



La suite du jeu se passe quelque part entre la jungle vénusienne, le laboratoire d’un professeur fou (et allemand, évidemment), Cleveland, le château d’un roi qui transforme tout ce qu’il touche en angle de 45 degrés, les canaux martiens, un harem rudement bien fourni, et encore plein d’autres joyeusetés. Tout ça pour déjouer le complot diabolique des Leather Goddesses of Phobos qui veulent transformer la Terre en un truc sexuel bizarre. C’est là qu’on comprend pourquoi le jeu s’appelle comme ça, la vache entre ça et la boite a fromage qui empêche le camembert de couler la vie est vraiment bien faite. Bref, vous l’aurez compris, c’est du grand n’importe quoi. La difficulté est bien évidemment inhumaine, genre il faut penser à prendre une pièce de monnaie dans une cabine de téléphone au début du jeu pour la donner à un rassemblement de pingouin cinquante-quatre étapes plus tard, ce genre de choses (et là, je n’invente rien). Ceci dit, c’est du classique dans ce genre de jeu, peut-être que les hardcore-fans trouvent ça facile, mais je n’ai pas pu me déplacer jusqu’à Sainte-Anne pour vérifier.



Je ne vous ai pas parlé des « goodies » qui étaient livrés en cadeau bonux avec le jeu. Il était assez courant à l’époque que l’éditeur se protège contre la copie (oui, déjà…) en fournissant avec la disquette des cartes ou d’autres trucs qu’on devait absolument avoir pour pouvoir terminer le jeu. Ici il s’agit d’une bédé en 3D (oui oui, avec des lunettes rouges et bleues !) dans le plus pur style « journal de Mickey d’avant-guerre » qui contient la clé nécessaire pour déchiffrer un message codé, le plan d’une partie du jeu, ou encore une carte odorante à gratter, bien utile si on veut connaître l’odeur de tel ou tel lieu. Les développeurs précisent d’ailleurs qu’ils se sont retenus de mettre des odeurs provenant des divers fluides corporels, et on ne leur en tiendra pas rigueur.



Pour causer de la partie technique, ça sera vite fait puisqu’il n’y a ni graphismes ni son. C’est un avantage de ce jeu, ça m’évite d’avoir à écrire des trucs lourds du style « d'une manière générale, les décors sont une réussite. En fait, je ne trouve qu'un seul gros défaut : l’animation saccadée » ou encore « des musiques pas très variées mais agréables au tympan, on se défend » (ami lecteur, trouve de quels tests proviennent ces phrases à chier et gagne un pin’s). Donc voilà, nous avons affaire à du très beau texte parfaitement lisible et je n’ai pas relevé une seule faute de frappe.



Bon, ça n’a pas l’air comme ça, mais LGOP n’est pas un mauvais jeu, loin de là. On peut même aller jusqu’à l’apprécier grâce à ses quelques passages bien rigolo, malheureusement ses énigmes stupides venues d’un autre temps auront raison de la plupart des joueurs qui n’ont ni la solution sous le nez ni la patience de rentrer l’intégralité du Harrap’s Shorter dans l’ordinateur pour voir si ça le fait réagir. En définitive, j’ai envie de dire que c’est une curiosité d’un autre temps, un peu comme ce vieux moustique fossilisé dans un morceau d’ambre que des paléontologues tripotent d’un air inspiré pendant quelques minutes, avant d’y coller une étiquette et de le reléguer au fond d’un tiroir pour s’en retourner à des activités autrement plus distrayantes, comme mélanger des os de poulet pour créer une nouvelle espèce de dinosaure ou jouer à chat-bite dans les couloirs du muséum d’Histoire Naturelle.

Le point de vue de César Ramos :
Comme tous jeux amiga : peu cher, présent en lots...