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Kikekankoi
Loriciels - 1985
42Ko de folie par EcstazY

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
Kikekankoi. Déjà, le titre. On aurait dit une blague, un nom inventé par un gamin de six ans. Mais non, c'était sérieux. Enfin, aussi sérieux qu'un jeu pouvait l'être en 1985.



Le scénario tenait sur quelques lignes : une fille en détresse vous envoie un message. Vous parcourez 500 kilomètres. Vous arrivez devant une grotte. Vous entrez. Voilà, c'est parti. Pas de fioritures. Juste vous, vos batteries de lampe torche, et l'idée vague qu'il faut sauver quelqu'un quelque part.



Le jeu était moche. Soyons honnêtes. Moche, basique, dépouillé. Programmé en mode 1 de l'Amstrad – quatre couleurs maximum, des graphismes qui ressemblaient à des croquis au feutre. Chaque salle était représentée par une image simpliste. Quelques traits, quelques formes, histoire de suggérer une grotte, une rue, un temple. En dessous, une liste des objets. Une fenêtre pour les commandes. Et surtout, surtout, ce compteur qui égrenait les pourcentages à vive allure.



À vive allure. Il faut insister sur ce point. Ce compteur filait. 100%, 99%, 98%, 97%... On ne le regardait même pas descendre, on le voyait fondre sous nos yeux comme neige au soleil. Chaque seconde vous arrachait un, deux, trois pourcents de vie. Vous tapiez une commande ? Le temps passait. Vous vous déplaciez ? Le temps filait. Vous hésitiez une seconde ? La mort se rapprochait, inexorable.



Même avec la soluce – même avec la soluce sous les yeux – il fallait solidement s'accrocher. Pas le temps de respirer. Pas le temps de lire tranquillement. On tapait à toute vitesse, les doigts tremblants sur le clavier. "E, E, E, PRENDS SEAU" – vite, vite, le compteur descend. "O, O, O, DESCENDRE" – plus vite, on est déjà à 85%. Une faute de frappe ? Fatal. Une hésitation ? Mortel. La mort venait cueillir les lents. Très vite. Sans pitié.



Le jeu tenait en entier dans 42 Ko. Quarante-deux kilooctets. Une photo de téléphone fait cent fois cette taille. Dans ces 42 Ko, il y avait l'analyseur syntaxique, toutes les images, quelques bruitages qui ne marquaient personne, et toute la logique du jeu. Distribué sur cassette. Une prouesse technique, probablement. Mais ça ne le rendait pas moins moche.



Les dédales étaient parsemés de salles où on ne voyait rien. Des écrans noirs, ou presque. Pas d'image, pas de description claire. Juste le néant. Et pourtant, il y avait toujours quelque chose à ramasser dedans. Quoi ? Aucune idée. Comment le savoir ? Impossible. Il fallait impérativement avoir la soluce. Sans elle, on ne pouvait même pas deviner qu'il existait un objet dans cette salle vide. Le mystère était entier. Total. Absolu.



Les énigmes étaient tirées par les cheveux. Complètement tordues. On se retrouvait dans des grottes, puis soudain dans une ville peuplée d'individus bizarres. Vendre un delta – un delta, bon sang, c'est quoi un delta dans ce contexte ? Acheter des espadrilles. Casser une bouteille. Donner des vêtements à une fille dans un temple. Creuser un mur. Pourquoi ? Aucune idée. On le faisait parce que c'était la solution. Et on le faisait vite, parce que le compteur ne s'arrêtait jamais.



Sans soluce, le jeu était impossible. Pas difficile. Impossible. La vie était trop courte – littéralement. Ce compteur qui filait à toute allure ne vous laissait aucune chance d'explorer, de tester, de réfléchir. Il fallait savoir exactement où aller, quoi prendre, quoi faire, dans quel ordre. Et même en le sachant, même en ayant la feuille avec toutes les réponses, on mourait quand même la moitié du temps. Parce qu'on tapait trop lentement. Parce qu'on faisait une faute. Parce qu'on perdait deux secondes à relire la commande suivante.



La soluce était notre seul espoir. "E, E, E, PRENDS SEAU, O, O, O, DESCENDRE, O, PRENDS SABLE..." On la suivait en mode panique, les yeux qui sautaient frénétiquement entre la feuille et l'écran. Le compteur à 70%. Puis 60%. Puis 50%. On tapait comme des forcenés. "ENTRE TRAITEUR, VENDS DELTA, SORS, PRENDS MAILLET" – 40%, bordel, 40% déjà. "ENTRE MEDECIN, AVALE ASPIRINE, METS MASQUE" – 30%, on va pas y arriver. "CASSE BOUTEILLE, ACHETE ESPADRILLES" – 20%, la sueur aux tempes, les doigts qui glissent sur les touches.



C'était une course contre la montre permanente. Même avec toutes les réponses en main, le jeu vous mettait la pression. Vous étiez dans un état de stress constant, à calculer mentalement si vous aviez assez de temps pour finir, à vous demander si vous n'aviez pas oublié une commande, à prier pour ne pas faire de faute de frappe qui vous coûterait ces précieuses secondes.



Les bruitages ? Inexistants. Quelques bips qui ne marquaient personne. La musique ? Nulle part. Juste le silence, le cliquetis frénétique du clavier, et cette urgence absolue qui vous serrait la gorge. On jouait en apnée, littéralement. On retenait notre souffle en tapant les commandes, comme si ça pouvait ralentir le compteur.



Le jeu nous décevait quand on y jouait. C'était moche, stressant, incompréhensible. Le compteur nous torturait. Ces salles vides où il fallait ramasser des trucs invisibles sans savoir lesquels. Ces énigmes absurdes. Cette vitesse infernale. Mais dès qu'on le laissait un peu de côté, il nous laissait un excellent souvenir. Allez comprendre.



C'était peut-être ça, le génie pervers de Kikekankoi. Il vous mettait dans un état de panique pure. Même avec toutes les réponses, vous n'étiez jamais sûr d'y arriver. La mort guettait les lents. Et on était tous trop lents, au fond. Le jeu était calibré pour ça. Pour vous faire sentir l'urgence, la pression, la terreur de ce compteur qui filait.



Vingt ans plus tard, quelqu'un a tenté de le finir. Avec toute son expérience de joueur, avec sa patience d'adulte, avec la soluce complète. Et il n'y est pas arrivé. Vingt ans. Rien n'avait changé. Le jeu était toujours aussi rapide, toujours aussi impitoyable, toujours aussi mystérieux.



Aujourd'hui, je repense à Kikekankoi avec une sorte de fascination horrifiée. Ce n'était pas un bon jeu, objectivement. C'était moche, injuste, sadique. Mais il avait quelque chose. Cette urgence permanente. Ce mystère total – des objets invisibles dans des salles vides, des énigmes qui n'avaient aucun sens. Ce sentiment qu'on courait vers quelque chose sans vraiment savoir quoi, juste parce que le compteur nous y obligeait.

Kikekankoi était un jeu mythique. Pas pour les bonnes raisons, peut-être. Mais mythique quand même. Moche, impossible, stressant, mystérieux. Un compteur qui filait à toute allure. Des salles vides avec des objets invisibles. Une soluce indispensable qui ne suffisait même pas. Et cette course folle, cette panique, cette impression de toujours être en retard.

Le Mystère de Kikekankoi. Quarante-deux kilooctets de pure adrénaline. La mort qui cueillait les lents. Le mystère qui restait entier, même quand on gagnait.

Et trente ans plus tard, on se souvient encore de cette terreur. De ce compteur qui descendait, descendait, descendait. De nos doigts qui tremblaient sur le clavier. De cette course impossible contre le temps.

On ne comprenait rien. Mais on courait quand même.



Bonus : car je sais que vous non plus vous n'avez pas le temps, la soluce :

O, prendre batterie, E,E,E,E, prendre seau, E,N, prendre lampe, S,O,O,O,O, D,E,E,E, prendre fiole, O,O,O,O, prendre sable, E, prendre barque, décoller adhésif, prendre clé, prendre bouteille, ramer, laisser barque, D, ouvrir trappe, D, laisser clé, O, boire fiole, O, prendre ampoule, E,E,M,N,E,E, laisser fiole, prendre delta, O,O,S,M,O, visser ampoule, brancher batterie, allumer lampe, jeter sable, laisser seau, O, éteindre lampe, débrancher batterie, N,N, entrer traiteur, vendre delta, sortir, O, prendre maillet, S, entrer médecin, avaler aspirine, prendre masque, sortir, laisser maillet, entrer chausseur, acheter espadrille, sortir, E,S, entrer tailleur, laisser batterie, acheter robe, prendre batterie, sortir N,E,E,N, laisser batterie, laisser lampe, S, prendre broche, O,O,O, prendre maillet, E,E,E,N, laisser maillet, laisser broche, prendre lampe, prendre batterie, laisser chaussures, entrer temple, mettre masque, casser bouteille, prendre débris, N, délivrer fille, donner robe, donner espadrilles, laisser débris, S, O, brancher batterie, allumer lampe, prendre bombe, éteindre lampe, débrancher batterie, E, S, prendre broche, prendre maillet, entrer temple, E, E, S, creuser mur... C’est fini !
Le point de vue de César Ramos :
Introuvable sans copie, comme toujours.