"Enfin un site qui a testé Mind Walker" - Freud (dans Télérama)
Generations Lost
Time Warner Interactive - 1994
Pas perdu pour tout le monde par Fungus

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
Aujourd’hui se présente comme hier, probablement comme le fera demain : un jour standard coincé dans une existence qui l'est tout autant. Un pale ciel gris nuancé de bleu s'épanche sur ce matin naissant. Epais et sirupeux, le silence calfeutre les moindres recoins de mon modeste logis. Dans ma bouche, une légère sensation de coton hydrophile, vestige d'une nuit trop courte, une de plus. Un bref regard jeté à travers ma fenêtre m'offre la vue d'un fragment des plaines de la Brie. Un infime morceau du monde qui vit, palpite à son rythme de croisière, uniformément, anonymement, s'accordant au la d'un ronron orchestré par quelque maestro immatériel, suivant une partition qui semble pouvoir s'étendre jusqu'à la fin des siècles. L'air ambiant semble saturé d'une constance molle et rassurante, comme si l'Univers ne semblait pas être disposé à ce qu'il se passe quoi que ce soit de remarquable à court terme. Une linéarité confortable, presque maternelle...

Qu'est-ce que je me fais chier.

C’est donc comme ça que je pimente mon existence à l'orée de l’andropause ? Dans une espèce de piperade insipide et tiède comme le cul d’une sociale-démocrate luxembourgeoise ? Où sont mes idéaux de jeunesse, mes ambitions originelles, ma fougue, mon feu sacré, mes érections matinales systématiques ? Et bordel de merde pauvre con, qu'est-ce qui t'a pris à bientôt quarante ans de racheter des Miel Pops pour le petit-déjeuner ? Tu crois que ta glycémie peut encore se réguler comme un foutu thermostat ? Arrivé au crépuscule de ma vie, un constat lapidaire s'impose : je ne suis finalement qu'un pathétique et neurasthénique amalgame de protéines standard.



Le pourrissement de l’âme me gagnait, les métastases de la mélancolie faisaient du trekking dans mon organisme.

Et puis voici que point un rayon de lumière dans l'entrebâillement de la lourde porte de la vie, qui sépare une sombre existence du couloir des... dans le... grand... éclat du... merde...

Bordel. Sortie de route allégorique. Faites excuses.

Pouf pouf.

Ce Generations Lost est donc apparu. Comme une orchidée dans un carré de topinambours, un urinoir propre dans une aire d'autoroute du Languedoc, l'indice salvateur dans la toute dernière case d'une planche de Mickey Mystère. Une tumeur maligne dans le pancréas de Pascal Praud. Une bouffée d'air, enfin, je respire.

Il était là dans sa fosse commune de chiffonnier vidéoludique, nu comme un ver, logé comme une vulgaire pomme de terre dans un bac de maraîcher. Je le voyais noyé dans une foule anonyme de titres Mega Drive pour lesquels le temps a abattu le couperet définitif de l’oubli. Ces jeux auxquels on n’accorde raisonnablement plus que quelques miettes d'intérêt, de ceux qu’on utilise au mieux pour des cartmods, caler ce meuble FLY que l'on garde depuis son appartement d'étudiant ou jeter sur des enfants qui tentent de vous épater avec des danses Fortnite et trop gras pour s’enfuir à temps. Et pourtant, j'ai ressenti un léger picotement dans un recoin de mon être, malgré son illustration de jaquette proprement dégueulasse, soyons tout à fait honnêtes. Il y avait définitivement quelque chose, un "je ne sais quoi" comme disent les français. Je ne le connaissais pas mais nous étions déjà intimes.



Les marchands du Temple que sont les boutiquiers modernes étant ce qu'ils sont (cela rime avec le mot enculés ... c'est le terme gros enculés), un eBay pulsionnel assaisonné d'un PayPal plus tard, il était mien. Un doux frémissement serpente ma colonne vertébrale. Accompagné d'une dilatation significative de mes corps caverneux ainsi que d’une discrète mais signifiante moiteur rectale. Le frisson de l'inconnu, le lancer de dé qui scelle un destin. Allez savoir sur quoi je vais tomber en fin de compte. A la réflexion, je ne connais pratiquement rien de ce jeu. Un oubliable navet peut-être, si l’univers rieur décide de me faire un croque-en-jambe mesquin et un contrôle de la prostate surprise. Pour peu que la cartouche ne se lance même pas, je ne vous raconte pas la mastication de testicule.

Mais la biscotte démarre, ouf, 10 points en moins pour la tension artérielle. Le jeu s'offre à moi et me parle du futur. Bien ça le futur, bon sujet, c'est porteur d'avenir. Celui-ci concerne un monde apaisé, où l'humanité a emprunté le chemin de la sagesse, de la concorde entre les peuples et de l'élévation de l'âme. Le chômage est pratiquement réduit à néant, toute maladie est risiblement bénigne, les conflits inter-étatiques un concept que l’on conjugue au passé, les noirs n'existent plus. Nous sommes dans un rêve mué en réalité, Christophe André est élu président, on dégueule du bonheur dans les caniveaux.



Je plaisante. On patauge bien entendu à grosses bottes dans le conventionnel scénario d'anticipation où le monde a tourné une fois de plus en nectar de merde et dans lequel l'humanité est revenue grosso modo à faire des tapas avec ses excréments et soigner ses caries à coup de silex. Bravo. On ne peut rien vous confier cinq minutes, on se croirait dans un gouvernement italien ou une école Montessori en auto-gestion.

Les attendus du scénario post-apocalyptique sont ici parfaitement respectés : les sociétés humaines se sont effondrées et ont tout naturellement régressés au niveau tribal, un peu comme dans le Jura ou une MJC en Mayenne. C’est le standard. Certains individus portent même des chemises en lin et psalmodient du Deep Forest, c’est vous dire si on part de loin. Vous incarnez un de ces sauvages post-modernes qui se voit confier la mission d'aller explorer l'épaisse jungle des alentours afin de percer les mystères technologiques de la précédente génération, la vilaine fautive de tout ce charivari. En clair vous êtes l'élu (pour être le premier à avoir réussi à se raser correctement sans chopper le tétanos). On vous équipe d'une paire de chaussures de marche, d'une gourde de grenadine, deux/trois balistos aux fruits des bois (ceux que l’on ne mange pas mais qu’on laisse mourir par suffocation au fond du sac) et surtout d'un gadget fort pratique sous la forme d'un bracelet multifonctions qui sera au centre du gameplay et ne sera pas de trop pour progresser.



Vous voilà donc en train de frayer entre les fougères géantes et les merdes de singe radioactives à la découverte des vestiges d'un monde révolu et de ses mystérieux savoirs perdus, qui pourraient ramener votre civilisation déchue vers un nouvel âge glorieux et éclairé (SPOILER : ça sera la redécouverte du papier toilette sans gluten et non genré). Vos pérégrinations vous rapprocheront petit à petit de l'ancien monde moderne, dans les ruines duquel réside l'espoir de tout un peuple. Hardi petit.



Premier constat, le jeu est assez beau. Rudement mieux qu’assez en fait. La syntaxe déplorable de cette dernière phrase ne vous sera pas facturée. Les graphismes sont fins, détaillés et réalistes (dans un contexte 16 bits s'entend). Ils rappellent sur certains points les jeux X-Men sur la même machine. Si vous connaissez, vous saisissez un peu mieux l’ambiance. Des couleurs sobres, des sprites ciselés sans être tape-à-l’œil : du bel ouvrage. Le jeu ne racole pas et se fend également d’une ambiance à laFlashback, dans la lenteur voulue de son rythme et le caractère envoûtant tout autant mystérieux de son environnement.



L'analogie avec Flashback n'est du reste pas limitée au visuel du jeu. Les deux titres partagent la même façon de progresser, une sorte de pesanteur doucereuse et réfléchie. Le jeu de plates-formes frénétique, on oublie vite. Vous devrez faire progresser votre gaillard par petits pas réfléchis pour débloquer mécanismes tortueux et désamorcer chausse-trappes sournoises. C'est d'ailleurs là qu'intervient le bidule greffé à votre bras.

Seule concession à la modernité de votre tribu, cette gourmette high-tech sera un rempart contre les ténèbres, celui qui sépare de l’Homme de la bête ou du député varois. Autant arme que lasso, elle vous sera indispensable pour avancer. Son utilisation est infinie, au prix d'un temps de recharge, histoire de que vous ne claquiez pas tout le stock de piles AAA avant la fin du premier niveau. Trois fonctions essentielles : dézinguer du connard, s'accrocher et se balancer, se connecter aux terminaux/portes. Faites-en une combinaison aléatoire avec un jeté de D20 et vous aurez un résumé sommaire de l'ensemble des niveaux. On grimpe, on fume le truc qui vous aura la plupart du temps collé une trempe en premier, on active un interrupteur pour ouvrir une porte ou un téléporteur quelques arpents plus loin, on se casse la gueule sur des pieux ou des gaines électriques dénudées entre chaque étape (gag dont on se lasse TRÈS vite). Level design simple, pas de quoi casser trois briques à un canard. Ou une locution à la con de ce genre.



A dire le vrai, la lenteur louée un peu plus haut joue tout de même parfois en défaveur du jeu. Notamment lorsque vous êtes surpris par quelque mutant, primate dégénéré ou militant SUD Rail (les sprites ne sont pas toujours lisibles, difficile de faire le distinguo). Le temps de réaction est souvent court et vous devrez rapidement entamer des négociations à base de coup de talon dans les couilles. Il arrivera hélas que ces dernières seront les vôtres le temps que vous puissiez riposter avec un soin exfoliant au plasma. Pour autant, on n’est clairement pas dans une approche beat'em up, les mandales à distribuer se compteront sur les doigts d'une main dans la gueule. Modérément frustrant donc.



Dans le genre crispation des doigts, il y a aussi ces passages qui vous demanderont d'enchaîner une combinaison délicate de saut/roulé-boulé/crochet du droit dans un interrupteur, mécanisme ou une sale gueule indigène. On va pas se mentir : entamer une phrase par cette expression de merde devrait être puni d'équarrissage à vif. Recentrons. Donc. Notre bellâtre post-moderne vous démontrera à l'occasion qu'il sait avoir la grâce et la souplesse d'une palette de briques. Clairement pas rédhibitoire mais préparez-vous à l'irritation de perdre des vies pour pas grand-chose. Ne soyez pas pressés en fait, laissez du temps au temps comme disait l'inventeur cancer de la prostate et profitez surtout de la sympathique ambiance tout en simplicité qui se dégage de cet humble jeu.



Generations Lost stagne dans la zone d'ombre de la logithèque de la Mega Drive et c’est injuste. Il mérite amplement un peu de lumière et de considération. Pour un jeu acheté sur de simples indications pifométriques, je me félicite de la bonne surprise et d’un investissement largement rentabilisé. Sa réputation discrète est un atout pour le joueur curieux qui saura le dénicher à vil prix et sa réalisation sobre mais sérieuse ne le décevra pas. Allez, allez, vous devriez déjà être en train de fouiller les étals des marchands de bonheur d’occasion et de vous délester de l'équivalant financier d'une demi-livre de noix de cajou.

Le point de vue de César Ramos :
Modérément fréquent, à un prix (encore) abordable.